jeudi 7 mai 2009

Un discours bien génant... pour les médias


Rien ne m'y préparait. Je suis tombée des nues lorsque j'ai lu, jusqu'à la dernière ligne, le discours du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, prononcé en avril dernier à Genève lors de la conférence "Durban II" contre le racisme. Les médias occidentaux qui, lorsqu'ils évoquent Ahmadinejad, se consacrent entièrement à sa diabolisation, n'en font décidément qu'à leur tête. Et se payent la notre par la même occasion.

Alors que je n'avais suivi cet épisode que de très loin - quelques infos glanées de-ci de-là -, quelle stupéfaction lorsque je suis tombée par hasard sur ce fameux discours ! Et puis, la stupéfaction a fait place à la colère envers ces professionnels de l'actualité qui ne font pas correctement leur travail et se contentent de se rabâcher les uns les autres sans plus aller à la source. Et ne me répondez pas : "parce qu'ils ne parlent pas le farsi, ni l'anglais"... Que les choses soient claires dès le début : Ahmadinejad est un président autoritaire à la tête d'un gouvernement qui emprisonne les opposants, musèle la presse et accorde peu d'espace aux libertés civiles. Et ses propos négationnistes d'un autre temps font de lui un partenaire diplomatique peu fréquentable et certainement pas un modèle politique. Mais pourquoi faut-il que les médias en rajoutent des tonnes lorsqu'il s'agit de Mahmoud Ahmadinejad - et ce n'est pas nouveau - et déforment sciemment ses propos, surtout lorsqu'ils se rapportent à Israël ? (Non, je n'insinue pas qu'un lobby juif ou sioniste se cache derrière cette mascarade pour la bonne raison que je n'y crois pas.) Pourquoi ont-ils tronqué son discours, et l'ont-ils rapporté de manière biaisée ?

Les journalistes ont-ils vraiment lu ou entendu cette allocution ? (Si la réponse est oui, le cas est grave !) Pourquoi affirmer que le président iranien s'est adonné à des propos antisémites alors qu'il a, en fait, fustigé un régime qu'il estime ne pas être égalitaire envers les citoyens arabes et israéliens ? Et si il estime que cette différence de traitement (Palestinien de Gaza maintenus dans la pauvreté par un blocus économique, construction d'un mur de séparation entre villages arabes et israéliens, entre autres) s'appelle racisme, il n'est pas le seul à le penser. Soit dit en passant, la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des droits de l'Homme) a rendu un rapport en juillet 2001 accusant l'Etat hébreu de racisme envers la population arabe d'Israël. Pas une seule fois je n'ai lu dans ce discours un appel à la haine contre les juifs. Oui, Ahmadinejad a de la haine envers l'État d'Israël et ses représentants, qu'il désigne comme "sionistes" (Le fait d'utiliser les mots sioniste ou sionisme fait-il automatiquement de celui qui l'emploie un antisémite ?). Selon lui, les dirigeants israéliens mènent ouvertement une politique raciste, mais participent aussi à un génocide de la population palestinienne. C'est son point de vue, sans doute excessif, mais personne ne peut nier le massacre ni les mauvais traitement subis par les civils palestiniens, l'ONU et de nombreuses ONG ayant déjà rendu de nombreux rapports accablants sur le sujet. D'ailleurs, de nombreux pays du monde réprouvent cette politique mais seuls queques uns ont osé la condamner.

Le plus troublant, en fin de compte, c'est qu' Ahmadinejad ne dit pas grand chose de plus, ni de différent dans ce discours, de ce qui se lit habituellement dans les journaux européens ou américains. Sauf qu'il y vont avec des pincettes. Souvenez-vous, par exemple, du traitement de l'info par les médias internationaux de l'opération militaire menée par Israël cet été dans la bande de Gaza. Très peu de journaux soutenaient cette action militaire qu'ils jugeaient de concert disproportionnée, inefficace et meurtrière. Alors, quel est le but de cette bourde médiatique qui vise à rendre plus minable et terriblement dangereux le président iranien ? N'est-il pas plus dangereux de mettre dans sa bouche des mots ou des phrases mal traduites, mal interprétées ou carrement fausses ?

Même si ce discours est très long, il vaut la peine d'être lu, dans son intégralité. Jugez en par vous même. Le voici :

4 commentaires:

Serge Adam a dit…

Très bon commentaire. Je partage.

Les médias, suivent la ligne directrice des propriétaires et diaboliser l'Iran, c'est aussi diaboliser les musulmans. La caricature est grosse, mais les nuances s'imposent.
Les musulmans ne sont pas tous des terroristes, tout le monde le sais,mais, pour les occidentaux ils représentent une menace,disons plutôt pour les impérialistes qui ont besoin de leurs ressources.
Alors la désinformation devient un instrument pour nous faire avaler des couleuvres. Ce ne sont pas tous les musulmans qui sont pour la charia, tout comme les chrétiens... Les nuances s'imposent contre les caricatures.
Excuse les erreurs(fts)

Myriam G. a dit…

Pourquoi les médias participent-ils tête baissée à cette mascarade ?

Serge Adam a dit…

Questions pertinentes, mais la réponse est complexe. Les intérêts financiers des groupes propriétaires des médias ont besoin de publicité et les grands publicitaires soutiennent Israël, alors... le reste suit.

Sophistication a dit…

Sans vouloir jouer le trouble-fête à tout prix, moi qui ai déjà exprimé un avis négatif sur ce blog que je considère, au demeurant, intéressant du point de vue des sujets qu'il traite, j'aimerais soulever quelques points qui me semblent dignes d'intérêt:

1) Je me rappelle une conférence qui portait sur la question suivante: quand cesse l'antisionisme et commence l'antisémitisme ? A cette question relativement difficile, le conférencier a été d'une clarté remarquable. Son idée peut se résumer de la manière suivante: "Ce qui distingue l'antisioniste de l'antisémite, c'est le droit qu'il accorde aux juifs de s'émanciper". Or, Ahmadinejad ne reconnaît pas même ce droit-là aux juifs, lui qui est ouvertement antisioniste et négationniste. Aussi on peut raisonnablement lui accorder l'étiquette d'antisémite, sans trop risquer de se tromper.

2) Tu ne cites jamais son discours, c'est regrettable. Je vais le faire, et te prouver qu'il a des propos bel et bien antisémites: "elles[les grandes puissances] ont aidé à hisser au pouvoir les individus [les juifs] les plus cruels et les racistes les plus répressifs en Palestine"; "leur [les juifs] donnant un feu vert pour poursuivre leurs crimes" et il continue: "ces individus racistes responsables de génocide". Bref, si cette manière de traiter les juifs n'est pas clairement antisémite, alors je veux bien repasser en classe de français !

3) La FIDH n'a pas déclaré que l'Etat d'Israël est raciste, mais qu'il aurait commis un crime de guerre, un crime contre l'humanité en ciblant la bande de Gaza avec les moyens employés par Tsahal. Une nuance primordiale.

4) Considérer Ahmadinejad comme un salop, c'est le moins que l'on puisse faire ! Il faut savoir aborder l'Histoire telle qu'elle vient. L'avènement d'Hitler, de Staline et d'autres illustres salops à la tête de puissances militaires nous enseigne qu'un intellectuel n'a d'autre rôle politique que de comprendre l'Histoire et d'impacter sur elle. Raymond Aron le premier l'a compris. Combattre Ahmadinejad, c'est rendre service à la Liberté et à la Paix - quitte à devoir prendre les armes. C'est un devoir d'humanité !

4) Là où nous nous rejoignons, c'est sur le constat que les journalistes sont généralement médiocres, qu'ils ne remplissent très souvent pas leur rôle de rassembleurs de charges et de décharges, ou de faits tangibles tout simplement. C'est un triste constat.