mercredi 4 février 2009

Billet d'humeur : Autopsie d'une crise annoncée

Pour pallier la baisse de la consommation nationale induite par les évènements anxiogènes du 11/09, les banquiers américains décidèrent -fait inédit- de prêter aux pauvres, c'est à dire aux clients insolvables. Il faut dire qu'Alan Greenspan, président de la Fed, leur a fourni le plus convaincant des arguments en portant le taux d'intérêt à 1% ! Ils disposaient donc d'une réserve d'argent inespérée, peu coûteuse et abondante. Mais le "subprime" étant un emprunt très risqué, les génies de la finance ont usé de tours de passe-passe en créant des titres obligataires à l'intérieur desquels ils ont glissé quelques subprimes à côté de créances peu risquées. Et comble de chance, ces titres se sont avérés être extrêmement rentables entraînant de ce fait une course effrénée vers le profit... et la spéculation. Les as de la finance redoublaient d'ingéniosité en créant toutes sortes de produits financiers plus ou moins opaques à mesure que leur cupidité s'intensifiait. Bref, sur la planète finance tous les habitants se sont copieusement enrichis jusqu'à l'indécence.

Mais au cours du deuxième semestre 2006 éclata la crise des "subprimes"aux Etats-Unis. La chute de l'immobilier due à un déficit de paiements - les pauvres étranglés par des intérêts faramineux se sont vus saisir leur bien immobilier - conjuguée à une crise de défiance des banques entre elles entraînèrent par effet de dominos tous les secteurs de la finance. Pendant l'été 2007 les marchés boursiers internationaux s'effondrèrent : en voulant spéculer sur le dos de la misère, le monde de la finance s'est retrouvé sur les fesses. Face à l'ampleur de la crise qui menaçait de mettre économiquement à genoux les pays touchés, les Etats ont dû intervenir en injectant des millions pour recapitaliser les banques, voire même les nationaliser. Et cela avec l'argent des contribuables. Certes, aucun état ne pouvait prendre le risque de sa propre faillite et le renflouement des banques était une priorité. Aux Etats-Unis, le plan du secrétaire du Trésor, Henry Paulson, prévoyait d'injecter plus de 700 milliards de dollards dans l'économie, et ce sur deux ans, soit un plan de sauvetage de 1 400 milliards de dollards. En Europe, même si les chiffres n'atteignent pas des sommets aussi vertigineux, les Etats ne sont pas en reste. A cette hauteur, il est désormais difficile de se représenter les sommes que les gouvernements de la planête ont décidé d'allouer à des institutions financières sur le point de les acculer à la banqueroute. Mais voilà, que va-t'il se passer maintenant ? Les banques vont-elles une fois la crise jugulée se remettre à flamber ? Quelles mesures les gouvernements ont-ils prises pour réguler un marché financier jugé opaque et fou ? "Plus jamais ça" doit être désormais leur leitmotiv.

Or que lit-on dans la presse ? Nicolas Sarkozy aurait prété de l'argent aux banques sans condition. Petite paranthèse: Laurence Parisot, patronne du Medef, a déclaré qu'il n'était pas question que l'Etat mette son nez dans les affaires des banques, libéralisme oblige. En bref, l'Etat doit se cantonner à un rôle de préteur sans gage ni garantie. Circulez monsieur le bienfaiteur, il n'y a plus rien à voir. Insensé. Entre l'Economique et le politique, qui dirige?
Prêt sans condition, donc. Mais voilà qu'on apprend via Les Echos que les trois plus grandes banques françaises devraient dégager pour l'année 2008 plus de 9 milliards d'euros de bénéfices, dont une large partie reviendrait aux actionnaires. Oui, aux actionnaires! Et fait d'autant plus troublant que l'Etat est sur le point de leur prêter une nouvelle fois 10,5 milliards d'euros. En contrepartie, l'Etat n'a exigé, une fois de plus, aucune condition à l'octroi de ces prêts. Et encore mieux : alors que ces aides financières sont inscrites dans un plan visant à relancer l'investissement, les banques ne sont pas tenues d'utiliser cet argent sous forme de prêts aux entreprises ou aux particuliers. La France de Nicolas Sarkozy marche sur la tête. Et ce n'est qu'un début. Les entreprises du CAC 40, dont les profits ont légèrement baissé en 2008, annoncent une distribution de dividendes à leurs actionnaires, soit des milliards d'euros si on les cumule. Alors qu'elles ont également reçu des aides publiques. Ce qui ne les empêche pas de licencier massivement et de délocaliser leur production ou celle de leurs filiales. Pour éviter une telle hémorragie, le chef de l'Etat a recemment annoncé la suppression de la taxe professionnelle en 2010. Un cadeau de plus aux patrons qui la réclament depuis sa création. La crise a bon dos, elle est même une aubaine pour certains. Mais pas pour tout le monde : les chiffres du chômage s'enflamment et les perspectives d'emploi sont moroses. Quelles mesures le gouvernement a-t-il donc prises pour enrayer la vague de licenciements qui s'abat sur la France avec une violence inouie?
N. Sarkozy a défendu le recours au CDD : mieux vaut un travail précaire en temps de crise que pas de travail du tout. Maigre lot de consolation pour les chômeurs. En France, les 6 ou 7 millions de travailleurs précaires sont des travailleurs pauvres. Le président français a par ailleurs évoqué l'accéleration des réformes structurelles liées à la fusion de l'ANPE et l'UNEDIC. En quoi est-ce une mesure destinée à sauver directement des emplois ? Puis il a annoncé qu'il poursuivra le train des réformes engagées, à savoir la suppression de milliers de fonctionnaires. Pourquoi, par exemple, ne pas obliger les banques ou les entreprises bénéficiaires à utiliser leurs profits pour recapitaliser ou sauver des emplois au lieu des les verser aux actionnaires. Et d'interdire ces versements aux entreprises qui délocalisent ou licencient ? Parce que ces mesures sont impopulaires auprès des détenteurs des richesses de notre pays. La morale de l'histoire : aux patrons les aides ou les exonérations en tout genre, aux travailleurs le chômage ou la précarité. En d'autres termes, rien n'est trop beau pour les patrons, tout coûte trop cher pour les autres.

Pourtant, les deux principaux chantres du capitalisme, Etats-Unis et Royaume-Uni, n'ont pas hésité à prendre des mesures antilibérales dans cette période de crise exceptionnelle. Gordon Brown, le Premier ministre britannique, certes de gauche, a instauré une baisse de la TVA de deux points et demi, interdit aux banques de distribuer des dividendes aux actionnaires et récemment le gouvernement travailliste s'est attaqué aux bonus des banquiers. Quant au nouveau président des Etats-Unis, il s'est publiquement indigné contre les institutions de Wall Street qui auraient distribuées 18,4 milliards de dollars de prime à ses employés. De telles rétributions sont selon lui "le comble de l'irresponsabilité". Barak Obama veut inaugurer une nouvelle manière de gouverner en moralisant la politique. Vaste programme mais noble cause si il s'y tient. Il entend légiférer pour plafonner les salaires des patrons ayant reçu des aides de l'Etat. Et appelle les subventionnés de Wall Street à faire désormais preuve de retenue, de discipline et davantage de sens des responsabilités. En espérant que cet appel fasse l'objet d'une loi, sans quoi il ressemblerait à l'immoral code de bonne conduite conconcté par le Medef. Et en espérant également que ce ne soit pas juste un effet d'annonce, cher à notre omniprésident.

Une fois n'est pas coutume d'espérer que notre président français prenne exemple sur le président américain ou sur le premier ministre britannique, pour gérer de manière plus humaine et plus morale la crise en cours.

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