mardi 28 avril 2009

L'imbroglio somalien

Le regard de la communauté internationale sur la Somalie vient de changer du tout au tout : ce pays, parmi les plus pauvres de la planète, et en plein chaos - une guerre civile le terrasse depuis 1991 - attire aujourd’hui l’attention de nos grands dirigeants du monde. Pourquoi ? parce que des pirates somaliens prennent en otages des navires commerciaux et réclament des rançons pharamineuses. Des cargos, supertankers, navire marchands, voiliers, thoniers français, japonais, ukrainiens, libanais ou russes ont été attaqués dans le golfe d’Aden, passage privilégié du commerce maritime international par lequel transite 30% du pétrole mondial. Selon l'Organisation maritime internationale (OMI), plus de 120 actes de piraterie ont eu lieu au large des côtes somalienne en 2008.


Non pas que le problème du piratage n’en soit pas un. Il est du devoir de nos dirigeants de protéger les navires qui battent leur pavillon et le personnel qui leur est attaché, au pire en mettant un frein, au mieux un coup d’arrêt aux actes de piraterie dans les eaux territoriales somaliennes. Mais ce qui me gêne dans cette démarche, c’est qu’il a fallu attendre que le commerce international soit menacé, que les intérêts financiers des entreprises ou des ressortissants des pays les plus riches de la planète soient mis en danger, pour qu’enfin la communauté internationale, dixit Ban ki Moon, secrétaire général de l’ONU, décide de « s’attaquer aux causes profondes de la piraterie sur le territoire somalien ». Et ce qui me gêne encore plus, c’est que, à ces causes profondes, on oublie bien évidemment de parler de la surpêche illégale pratiquée par des navires européens et asiatiques dans les eaux somaliennes et du rejet de déchets toxiques, voire nucléaires (!), déversés au large des eaux somaliennes, depuis l'effondrement de l'Etat en 2001.

Un article très intéressant de Johann Hari publié par le Huffington post (traduit et édité sur le site contreinfo.info) émet la thèse que des pêcheurs somaliens, soucieux de protéger leurs ressources maritimes du pillage par des chalutiers étrangers, se sont transformés en pirates, prenant ainsi le relais des gardes-côtes inexistants depuis la chute du régime. C'est en tout cas l'argumentaire brandi par les pirates. Lors d'une interview accordée au New York Times, Sugule Ali, pirate somalien, se justifiait ainsi : "Nous ne nous considérons pas comme des bandits. Les bandits des mers sont ceux qui pêchent illégalement dans nos eaux et ceux qui jettent des détritus polluants. Alors pensez à nous en tant que gardes-côtes qui patrouillent la région".

Depuis des années, certaines organisations internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l'ONU, et l'OCDE tirent la sonnette d'alarme au sujet des "braconniers" des mers qui contournent les quotas nationaux en pêchant dans des zones poissonneuses peu fliquées. Au total, selon la FAO, les pêcheurs somaliens auraient perdu plus de 300 millions de dollars de revenus liés à la pêche, la principale ressource d'un des pays les plus pauvres du monde. Un premier rapport de l’ONU en 2006 dénonçait ces pratiques illégales et immorales et de nombreuses résolutions, jamais vraiment appliquées, ont interdit aux bateaux de pêches de s'adonner à leur activité en dehors de leur propre zone. D'autre part, en décembre 2004, la Somalie a été durement touchée par le Tsunami, qui coûta la vie à plus de 300 personnes et eut un impact économique et écologique dévastateur. En outre, le Tsunami déposa sur les plages somaliennes quantité de déchets toxiques, largués en mer en toute impunité par des entreprises occidentales ne voulant pas supporter le coût exorbitant de leur enfouissement ou de leurs retraitement. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a rendu un rapport inquiétant en mars 2005 : des maladies nouvelles ont fait leur apparition parmi la population locale dont les symptôme font curieusement penser à une contamination chimique ou radioactive. Ainsi, les cancers et les cas de stérilité, entre autres, se sont multipliés. Des propos de l’émissaire de l’ONU en Somalie, Ahmedou Ould Abdallah, recueillis par l'agence de presse Reuters confirment cette version. Pourtant, la convention internationale de Bamako interdit depuis le 31 janvier 1991 toute importation de déchets toxiques en Afrique. L'anarchie ambiante permet aux pollueurs occidentaux, en soudoyant certains chefs de guerre, de continuer leurs petits trafics, sans crainte d'être punis.

Au début du mois d'octobre 2008, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une nouvelle résolution - d'autres de la même teneur la précédaient - invitant les États ayant des navires croisant au large de la Somalie à s'investir pour en finir avec la piraterie. Ces derniers temps, de nombreux navires de guerre (OTAN, Russie, Navy américaine) assurent la sécurité dans le golfe d'Aden (sans toutefois arriver à éviter les actes de pirateries). Pourquoi l'ONU, qui dispose désormais d'une armada de navires de guerre envoyés pour protéger le commerce maritime, n'en profite-t-elle pas pour emmettre une nouvelle résolution qui protègerait par la même occasion les eaux somaliennes de la pêche illégale et du déversement des déchets toxiques et radioactifs ? Sans doute parce qu'elle ne peut pas forcer une patrouille internationale à faire de l'humanitaire, à protéger des intérêts autres que les siens, qui plus est, ne sont pas d'ordre économique...

Certes, le pirate somalien actuel n'est plus un simple garde-côtes. Il est un véritable bandit armé comme un guerrier, coupable de kinadpping et d'extorsion de fonds. Les revenus liés à cette nouvelle activité, devenue extrêmement lucrative, dépasse l'entendement du simple pêcheur qui tirait de la pêche de maigres revenus de subsistance, d'où sa popularité. L'éradication du piratage dans cette zone de l'Afrique de l'Ouest, et partout ailleurs, est une nécessité. Cependant, elle ne doit pas empêcher de mettre les pays européens et asiatiques devant leurs responsabilités. Et elles sont immenses. Ils doivent être traduit en justice pour avoir pendant des dizaines d'années mis en danger les populations africaines au mépris des lois internationales, des lois humaines et celles du bon sens. Jusqu'à preuve du contraire, l'Afrique n'est pas la poubelle de l'Europe. Enfin, peut-être serait-il temps de faire respecter cettte évidence.

1 commentaire:

Serge Adam a dit…

Merci pour ton abonnement à mon blogue.
Je profite de l’occasion pour te dire que ton article sur la piraterie est très pertinent. Effectivement, la piraterie ne date pas d'aujourd'hui et les raisons sont multiples, mais, comme tu le dis si bien, l'Afrique ne doit pas devenir la poubelle de l'Europe ni celle de l'Amérique.