mercredi 4 mars 2009

Béchir inculpé. Et maintenant ?


Les juges de la Cour Pénale Internationale ont émis mercredi 4 mars un mandat d'arrêt contre le président soudanais Omar el-Béchir. Une première pour un président en exercice dans l'histoire de cette haute cour de justice. Cette initiative de la CPI est un véritable succès en matière de droits de l'homme. Si le symbole est fort, la vie de milliers d'être humains est toujours en danger. La guerre civile continue de déchirer le pays et les exactions à grande échelle contre les populations civiles persistent, malgré la présence de la Mission des Nations Unies et de l'Union Africaine au Darfour. L'urgence au Darfour est de ramener la paix et de faire en sorte que la MINUAD censée protéger les civils ait tous les moyens de sa mission, qu'elle bâcle lamentablement.


En juillet dernier, après trois années d'enquête sur le conflit au Darfour, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, réclame un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir pour lequel il a accumulé de "lourdes preuves". Il est visé par pas moins de sept chefs d'inculpation dont crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. C'est en tant que président et commandant en chef de l'armée qu'el-Béchir est accusé d'avoir organisé et mis en œuvre une campagne anti-insurrectionnelle au Darfour. A l'origine de la guerre civile qui ensanglante la région du Darfour depuis 2003, des conflits entre tribus arabisées souvent nomades et tribus noires africaines non arabophones, plutôt sédentaires. A partir de 1985, le gouvernement de Khartoum décide d'armer ces nomades pour en faire une sorte de milice partisane, bien moins coûteuse qu'une armée à sa solde. Ainsi apparaissent les Janjawid, ces "Cavaliers du diable munis de kalachnikov". En servant le gouvernement de Khartoum, ils ont les coudées franches pour chasser les paysans de leurs terres qu'ils cultiveront à leur tour. Ce conflit aux origines ethniques s'est rapidement transformé en guerre d'exploitation économique. Et oppose désormais les troupes du gouvernement (milices et armée) aux troupes rebelles, dont la plus active est le JEM, Mouvement pour la Justice et l'Egalité. Ces derniers réclament pour le Darfour une meilleure répartition des ressources et des richesses du pays. Le conflit aurait fait 300 000 morts selon l'ONU et 10 000 selon les officiels de Khartoum. Sans compter que plus de deux millions de personnes ont été déplacées.

Une question vient immédiatement à l'esprit : que fait l'ONU ? La MINUAD est dans le pays depuis fin 2007 et compte aujourd'hui plus de 15 000 militaires et policiers chargés du maintien de la paix [ que signifie maintenir la paix dans un pays en guerre ?] Il est utile de rappeler que la mission des casques bleus est d'empêcher les attaques contre les civils et de les protéger, faciliter l’accès de l’aide humanitaire et d'assurer le retour des réfugiés et des déplacés, entre autres. Pourtant un récent rapport d' Amnesty International intitulé "Darfour. Des promesses en l'air. La communauté internationale ne tient pas ses engagements", épingle l'ONU sur ce dossier en accusant le cruel manque de moyens accordés à ces forces armées. Mieux formés, entraînés et équipés, les soldats déjà nombreux sur le terrain pourraient mener à bien leur mission. Toujours selon un rapporteur d'Amnesty, les viols et autres formes de violence sexuelle envers des femmes continuent - les auteurs de ces actes jouissent d'une totale impunité - et le climat est toujours à l'insécurité. Les derniers combats, outre les nombreuses victimes, ont de nouveau poussé des milliers de civils à fuir.

Les réactions suite à l'émission de ce mandat d'arrêt international sont très mitigées. Les Darfouris l'ont accueilli dans la liesse, cela va sans dire. Certains pays - essentiellement occidentaux - ont applaudi la nouvelle et appelé le gouvernement de Khartoum à coopérer avec la CPI. Mais ils craignent que les conséquences soient défavorables à la population du Darfour. A juste titre puisqu'une dizaine d'organismes humanitaires ont, dès ce matin, été contraints de quitter le Darfour, laissant une fois de plus les plus fragilisés à leur triste sort. Et d'autres, comme l'Afrique du Sud et la Libye - à la tête de l'Union Africaine - redoutent selon la version officielle un embrasement dans une région déjà suffisamment déstabilisée. La Chine, quant à elle, pense d'abord à préserver ses intérêts pétroliers. Une chose est sûre, la réussite de la CPI est inextricablement liée au soutien politique et militaire de la communauté internationale. Car sinon comment envisager l'arrestation et la traduction d'Omar el Béchir devant ses tribunaux si le gouvernement de Khartoum refuse de coopérer ? Et c'est là que le bât blesse. Dans l'incapacité de mettre fin au désastre humanitaire qui se joue dans la région depuis tant d'années, comment la communauté internationale peut-elle aujourd'hui s'élever contre le gouvernement de Khartoum ainsi que contre tous les chefs d'Etat du continent et d'ailleurs qui ont affirmé ne pas tenir compte de cette décision ? Le président soudanais avait déjà prévenu : "Cette décision à venir, ils peuvent se préparer à la ravaler". Un défi à relever pour la communauté internationale et l'ONU qui jouent leurs dernières cartes au risque de perdre définitivement toute crédibilité, et pas seulement dans la région. Pendant ce temps, les Darfouris attendent... et l'on sait dans quelles conditions...

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